Auto-introduction de son univers artistique :
La vie de l’artiste, accompagnée des œuvres créées à des moments différents et aux endroits variables, est comme un voyage sans destination à travers lequel le souvenir se pointe, l’horizon se trace et le plan se chemine.
Le dessin est un outil qui me décharge des souvenirs débordants et me permet de revisiter des scènes tantôt apparentes tantôt cachées dans la mémoire. Je dessine comme si j’écrivais un texte sur un moment de la vie avec des lettres alphabétiques ou autres, comme si je prenais des photographies quotidiennes, mais lentes et longues dont chaque partie est touchée par mes doigts.
La vidéo est un média où les images issues de différentes techniques peuvent se réunir et s’animer. Je prends des notes aux moments et lieux différents en dessinant, photographiant, ou écrivant. Ces éléments sont manipulés ensemble à travers le montage avec des figures virtuelles créées sur l’ordinateur. Les scènes ainsi réalisées s’agencent de manière à la fois linéaire et circulaire, autrement dit, avec une logique tantôt consciente, tantôt inconsciente.
Dans la durée déterminée, les ‘frames’ passent successivement, en révélant une ou plusieurs histoire(s) et en constituant le contenu et la forme de l’œuvre. L’espace rectangulaire de ce média devient une scène pour des figures poétiques, un point de croisement de l’image et du son, et un monde prêt à accueillir les spectateurs qui s’y projettent.
Faire une exposition, il s’agit ainsi de concevoir une journée séparée du temps commun, d’organiser les actions et mouvements particuliers, de réunir et revoir les œuvres créées, en fonction de tout ce qu’on peut imaginer ainsi que de tout ce qu’on ne peut jamais prévoir.
JiSun LEE – artleejisun.com
Son parcours
Artiste multimédia sud coréenne née en 1989, JiSun Lee est diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure d’art et de design de Dijon. Elle expose principalement entre la France et la Corée, pour des manifestations autour du dessin ou de la vidéo. Des musiciens accompagnent parfois la projection de ses oeuvres. Elle participe à de nombreux festivals et expositions collectives. Depuis 2015 son travail est visible lors de projections ou d’expositions personnelles, comme cette année au Centre Culturel Coréen de Paris, avec «La touche, une tache». JiSun Lee a écrit des articles pour le magazine coréen CultureM Magazine, est membre de l’AJAC, Association des Jeunes Artistes Coréens.
Sa démarche
Ses identités personnelle et artistique se construisent autour de sa situation de mouvements et de déplacements fréquents, entre lieux du «chez-soi» et lieux transitoires. Textes, dessins, photographies sont autant de notes prises dans ces espaces-temps, des instants/instantanés transformés par la vidéo, la création numérique d’images et de sons, de musique. Les fragments deviennent la source d’oeuvres poétiques et intimistes, des «mythologies quotidiennes» faites «d’ondoiements graphiques et de vibrations» (Anaïs Demir pour «La touche, une tache»). Beaugency constitue un nouvel espace-temps à explorer dans ses instants, ses fragments, à découvrir le temps de la résidence avant de les partager avec tous : «atmosphère, façades, couleurs, cieux, bruits quotidiens, vents, physionomies des gens, histoires racontées, rencontres, goûts» ensuite recomposés sous la forme de dessins, photographies et morceaux audio-visuels.
À propos de l’exposition < i : ci >
JiSun LEE, 2018
Je suis ici, là, nulle part et partout.
Ainsi, c’est d’abord la question du « je », la première personne qui désigne le locuteur, le « i » en anglais comme un petit personnage avec sa tête et son corps dressé debout.
Si l’artiste parle de soi-même, de chez-soi, elle ne se présente jamais entièrement dans les oeuvres. Sa propre identité se fragmente dans chacune des pièces artistiques. Le fragment présent s’alimente du passé, se projette dans le futur où se recomposeront les pièces détachées dans des contextes différents. L’oeuvre pour l’artiste est une représentation de son image et une création fictive à partir de vécus réels et imaginaires. Donc le « je » part du moi alors qu’il reste anonyme, ce qui lui permet de devenir n’importe qui se plongeant dans l’oeuvre.
Ensuite, le « je » se trouve quelque part, dans une situation donnée, une temporalité créée, un monde qui l’invite.
La résidence réunissant une durée de vie et de création sur un territoire défini invite l’artiste à la découverte. Alors j’ai commencé à découvrir, la ville et ses rues, des silhouettes et leur nom, le temps et ses visages, le « moi » et ses mouvements, la lumière et ses ombres. Avec ou sans le plan, chaque pas guide aux suivants pour tracer l’itinéraire sans destination. Sur le chemin, je croise des gens, des animaux, des saisons, des couleurs et des pensées. Une fois rentrée, je me retrouve « chez moi », qui permet enfin de retracer les pas qui relient des souvenirs pointés dans la constellation de la mémoire.
Enfin, le temps. Je suis ici et maintenant.
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JiSun LEE, je suis l’I
Yannick LERICHE
Ecrivain, auteur du recueil de poèmes « K-aZ et éditeur de l’ouvrage « Le français vu du ciel » de Marion Charreau.
Beaugency, Beaugency, la ville porte en elle l’histoire de notre langue et de notre pays. En regards croisés, les temps qui la composent se retrouvent à chaque coin de rue, à chaque présence esquissée. Quelle ville merveilleuse !
Et puis un jour d’hiver, une étrange jeune femme arriva en résidence, son appareil photo, sa frêle silhouette à l’encre d’orient, sa présence éthérée et pourtant ancrée dans chaque espace comme le point de mire d’une conscience aigüe d’être. Fut-elle attirée par la légende de la Maille d’or ? Est-ce l’Histoire des religions qui l’amena à arpenter les ruelles sous les lumières brumeuses de l’hiver ? Le lys, les lys qui seraient donnés à pleines mains ? Nul ne le sait, ne le savait jusqu’à ce jour de mai où les portes s’ouvrirent sur les images de JiSun LEE.
Prisme délicat de la transformation de l’enfant à l’enfant expérimenté qu’est la jeune adulte. Densité du regard dans le silence dense de celle qui interroge le monde. Le jeu était sous le signe de la rencontre entre le « je » et le « vous », ce « je » qui naquit si loin de la France dans un pays aux signes, aux sons, aux couleurs, à la culture autre.
JiSun, Je Suis, JiSun arrivant à Grenoble avec peu de mots, un filet de voix qui aurait pu faire penser à l’idée que l’ont se fait de la fragilité enfantine d’une jeune fille timide mais nous passerions à côté, de l’autre côté de ce miroir qui ressemble tant à un lac paisible de Suisse. L’attrait de la langue et la passion pour le trait donnent au parcours de JiSun l’impression qu’une ligne est tracée, mise en volume par les spirales de l’expérience du quotidien mêlée aux rencontres que l’art pourvoit.
Le peu de mots, le peu de traits, comme l’essence des choses mise en lumière devant vos yeux surpris de retrouver leur quotidien, si juste, si présent dans ces entrechats qui témoignent des passages de l’enfance à la jeunesse, de la jeunesse au grand âge, du présent à l’Histoire. Ces déplacements successifs entre nos états d’âmes nous accompagnant, nous construisant durant toute une vie, le long du fleuve.
Cette exposition serait donc un point de rencontre, un pont enjambant le lit de la Loire entre un ailleurs et un ici rassemblés par le truchement de l’image, rayonnant des mille feux de ce que l’échange porte en lui, la promesse de la reconnaissance de l’autre, le partage.